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Un manteau de neige enveloppa rapidement le château et ses alentours, le rendant presque irréel. Ginny adorait cette période de l'année. Ce moment où le temps semblait se mettre sur pause sans se soucier de l'avant ou après, de ce qui était ou de ce qui adviendrait. Elle avait alors l'impression qu'à l'instar du monde qui l'entourait, le domaine cherchait à faire table rase de ce qu'il avait subi et de renaître une nouvelle fois, l'hiver passant.


Du haut vitrail à l'est de la bibliothèque où elle avait pris refuge en ce samedi après-midi, elle pouvait voir les élèves se rendre à Pré-Au-Lard, tout heureux de pouvoir se dérober une nouvelle fois du château, de s'échapper de la discipline imposée sur ces lieux. Neville avait insisté pour qu'elle le rejoigne, qu'elle vienne se changer les idées mais elle n'y parvenait pas. Elle lui avait menti, se justifiant par des devoirs à rendre et des recherches à mener. Il n'avait pas été convaincu, à l'évidence. Il la connaissait si bien. Par convenance, il s'était contenté d'opiner avant de rejoindre leur bande d'amis. Il en restait là pour cette fois, comprenant qu'elle eut besoin d'espace. C'était ce qu'elle aimait tant chez lui, sa capacité à ne pas être intrusif et à lui laisser le temps de revenir vers lui, de lui parler de ce qui se passait dans sa tête.


C'était là d'ailleurs tout le problème. Elle ne pouvait pas lui en parler, pas encore. Parce qu'elle ne le comprenait pas elle-même. Elle ne saurait pas comment le lui formuler.


Comment lui dire qu'elle était à présent à mille lieux de Poudlard, qu'elle était glissée dans une réalité où elle côtoyait et parlait avec les fantômes d'Elus, des Promises ou Promis, qu'elle était formée pour une tâche dont elle ignorait toute l'étendue et naviguait à l'aveugle ?


Comment lui expliquer qu'à présent, elle était destinée à combattre aux côtés d'Harry Potter ? Qu'elle le retrouvait chaque soir pour qu'il lui enseigne ce qu'Albus Dumbledore lui avait lui-même enseigné ? Que le flot continu d'information qu'il abattait sur elle lui faisait prendre de plus en plus conscience qu'ils vivaient tous dans un tissu perpétuel de mensonges où chaque vérité que la masse pensait absolue était fabriquée de toute pièce par l'Ordre du Phénix et Harry lui-même pour que nulle ne cède à la panique et ne finisse par rejoindre les rangs de Voldemort ?


Qu'au-delà d'un combat d'armes, les deux clans menaient une bataille d'idée cherchant à convaincre le plus grand nombre que leur cause était la plus importante ?


Elle comprenait ainsi que chaque pion du Ministère – le mot pion prenant véritablement tout son sens à présent – était placé par l'un ou l'autre des parties comme sur un échiquier géant. Chacun préparait sa propre stratégie, avançant avec une dextérité déconcertante ses arguments, espérant gagnant le prochain coup ou mieux encore la partie, sachant pourtant que l'enjeu était colossal, qu'il s'agissait de l'ensemble du monde des sorciers des vies qu'il contenait.


Elle en avait été dégoutée, en avait voulu à sa famille, à l'Ordre, à Harry. Il en avait eu conscience à ce moment-là, avait préféré mettre un terme à leur session pour qu'elle puisse absorber tout cela.


Elle eut un soupir à cette pensée, retournant aux bouquins étalés devant elle. Elle n'avait pas totalement menti à Neville, sur ce point. Elle devait effectivement se pencher sur quelques devoirs mais il n'y avait pas là l'urgence qu'elle avait souhaité sous entendre. Et ses réflexions étaient à bien des lieux de ce devoir de Potions dont elle n'en avait que faire. Comment pourrait-elle seulement s'en soucier alors qu'elle ne survivrait peut-être pas pour en préparer ?


Elle s'adossa sur sa chaise, laissant son regard vaguer autour d'elle. Quelques rares âmes occupaient les lieux sous la supervision de Mrs Pince qui triait silencieusement les retours de la veille. Elle s'attelait à sa tâche de manière mécanique, imperturbable à ce qui semblait se passer autour. Elle ne cillerait pas si Voldemort lui-même se pointer devant elle.


Ginny fut absorbée un moment par les livres qui survolaient autour de la bibliothécaire, se demandant s'il était aussi aisé d'être insouciant, de ne pas avoir un quelconque poids sur les épaules, se demandant si elle l'avait elle-même déjà été.


Le raclement de la chaise devant elle la ramena brutalement à la réalité du moment. Elle sursauta en ramenant son menton vers la personne qui venait d'apparaître devant elle. Harry Potter lui faisait parfois douter de l'incapacité à transplaner au sein de l'école. Il eut un sourire d'excuse lorsqu'il vit sa surprise alors qu'il finissait de prendre place.


_Je pensais ne trouver aucun élève de Septième année aujourd'hui.


_Il n'y en a aucun, répondit-elle, en ramassant lentement les livres qui l'entouraient.


Il arqua un sourcil à son attention, l'air de dire, qu'elle ne pouvait décemment pas croire pouvoir l'éconduire de cette manière.


_Désolée.


_Pas de mal. Alors pourquoi es-tu là ?


Mrs Pince leur intima le silence, en fusillant Harry du regard. Il s'excusa d'un geste de la main avant de suivre la jeune fille dans les rayons, alors qu'elle remettait ça et là, les bouquins dérangés.


_Je ne pouvais pas.


_Comment ça ? Insista-t-il, en saisissant un bouquin au passage pour l'aider dans sa tâche.


_Faire comme si de rien n'était, comme si…tout était normal…


Elle se tut un moment, ne sachant comme lui expliquer cela mais elle se rendit compte qu'elle n'en eut pas besoin. Il savait déjà. Il opina lentement, contemplant un point derrière elle alors qu'elle rangeait le dernier ouvrage. Elle allait se retourner lorsqu'il retint son bras un instant. Il eut un rapide regard alentour, vérifiant que nul ne leur portait attention avant de l'amener davantage contre l'une des colonnes, près d'eux, s'assurant ainsi de ne pas être entendu des personnes présentes.


_Tout est normal, Ginny. Tu restes la même personne qu'hier.


_C'est faux…Tu le sais mieux que personne.


Elle s'était elle-même étonnée de la rapidité avec laquelle elle avait su le tutoyer mais il avait su lui-même l'expliquer lors d'une de leurs conversations lorsqu'elle avait porté le point à son attention. C'était comme s'ils s'étaient toujours connus.


Il replaça une mèche derrière son oreille, captant à présent toute son attention. Ce n'était pas la première fois qu'il avait eu un geste de la sorte envers elle. C'était comme s'il ne se maîtrisait pas. Il le regrettait cependant rapidement et reculait toujours un pas dans ce cas. Et cela la rassérénait. Elle était suffisamment perdue par ce qui se passait entre eux. Elle n'aurait pas su gérer un nouveau changement de paradigme.


Il leva un moment les yeux vers les hautes vitres de la bibliothèque, contemplant le décor qui s'y prêtait alors qu'elle étudiait avec attention son profil. Elle commençait à le connaître, à pouvoir le dessiner d'une main imaginaire. Elle vit alors ses traits renfrognés se transformer alors qu'un sourire lui barrait les lèvres.


_Me fais-tu confiance ?


_En principe, répondit-elle, légèrement méfiante.


Il leva les yeux au ciel avant de lui faire signe de le suivre. Elle hésita pendant un quart de seconde où elle se demanda où il l'emmenait avant qu'elle ne s'exécute sans broncher. Elle ramassa ses affaires et ils quittèrent ensemble les lieux, sous le regard circonspect de Mrs Pince. Dumbledore en entendrait sûrement parler.


Ils arpentèrent les couloirs du château où trônaient encore quelques étudiants de première année. Ginny se souvenait à quel point elle avait été excitée de rejoindre Poudlard, un engouement que Voldemort avait tôt fait de détruire lorsqu'il avait réussi à mettre son foutu journal entre ses mains. Elle resserra l'anse de son sac sur son épaule à cette pensée. Harry sembla percevoir sa détresse puisqu'il porta son regard vers elle. Il était de plus en plus capable de lire en elle, ce qui la perturbait grandement.


_A quoi penses-tu ?


_A rien, juste un souvenir qui me traversait l'esprit.


_Il t'a attristé, c'est ça ? S'enquit-il, cherchant confirmation de ce qu'il avait ressenti.


Elle ne comprenait pas totalement leur lien mais n'appréciait pas du tout cet aspect, la forçant à s'ouvrir totalement à quelqu'un qu'elle commençait à connaître. Elle se contenta d'opiner, priant pour qu'il n'en demande pas davantage. Il sembla également comprendre cela et n'en dit rien, préférant changer de sujet.


_Lorsque Dumbledore m'a révélé que j'étais l'Elu, j'ai perdu tout espoir. Je ne me sentais pas à la hauteur de cette tâche. Je n'avais pas su sauver mes parents, comment étais-je censé sauver un monde ?


_Harry…interjeta-elle, le cœur serré.


_C'était vrai. Voldemort était bien trop fort, bien trop puissant et…je n'étais qu'un enfant. Quelle idée de faire porter un tel fardeau à un enfant ? Bref, la chose étant faite, j'ai suivi sans trop y croire les enseignements d'Albus, des membres de l'Ordre, de mon parrain et de Rémus Lupin. J'ai fait exactement ce qui était attendu de moi. Mais combat après combat, je me rendais compte des horreurs qu'infligeaient Voldemort et ses sbires, de la noirceur qui déteignait sur le cœur des sorciers, la haine remplaçant l'amour des êtres qu'ils perdaient. Je sentais s'élever ce sentiment d'impuissance, menaçant de nous faire perdre du terrain face à lui. Albus fit de moi un symbole, un exemple, une légende. Il m'agitait comme un étendard à chacune de nos batailles pour rassurer notre monde et leur faire comprendre qu'ils n'étaient pas seuls, qu'ils n'étaient plus seuls. Que nous étions là. Que j'étais là. Et que tant que je survivrais, Voldemort ne pouvait gagner. Il ne pouvait vaincre.


Il se tut un moment, laissant place à un silence nécessaire. Elle ne répondit rien, se doutant déjà de tout cela, attendant de voir où il voulait en venir. Ils traversèrent le dernier couloir avant de parvenir à l'Atrium. Où l'emmenait-il ?


_Si nous restons debout, c'est justement grâce à cela, à la perception que le monde des sorciers à de nous, de l'Ordre, d'Albus et de moi.


_Quelle est ma place dans tout ça, Harry ?


_Je ne le sais pas encore, Ginny. Mais cette Prophétie est claire, je ne saurais vaincre Voldemort sans toi. C'est tout ce qui m'importe.


_Je le comprends et suis prête à l'accepter sans broncher. Cependant, je ne peux pas faire semblant que tout ira bien en me promenant à Pré-Au-Lard, en suivant des cours dont je n'aurais sûrement jamais besoin.


_C'est justement là tout le propos de notre bataille, Ginny. L'espoir. L'espoir que tout cela vaudra le coup, que nous nous battrons pour pouvoir de nouveau nous promener à Pré-Au-Lard sans craindre pour notre vie ou celle de ceux qui nous sont chers, de pouvoir avoir un avenir. C'est cet espoir qui nous fait accepter cette Prophétie.


Ils arrivaient alors à l'orée du terrain de Quidditch, inutilisé à l'instant. Les entraînements avaient été temporairement suspendus, du fait des vacances scolaires prochaines. Ginny avait elle-même si hâte de retrouver le Terrier et sa famille. Aujourd'hui, plus que jamais. Etaient-ils au courant ? Elle n'avait pas eu de leurs nouvelles depuis l'incident avec Greyback. Elle les retrouverait bien assez tôt.


Elle se tourna vers le jeune homme, l'arrêtant dans son avancée.


_Tu ne disais pas ça, Harry, lorsque Dumbledore nous a révélé la suite de la Prophétie. Tu semblais plutôt résilié à te sacrifier pour nous tous.


Il fut interdit un moment, se remémorant les mots qu'il avait énoncés, ce soir-là, avant d'opiner lentement, confirmant ce qu'elle impliquait.


_C'est vrai. J'aimerais vraiment croire en tout ça, en cet avenir que m'a dépeint Dumbledore. Mais comment le pourrais-je ? Le premier souvenir que je possède, la première image qui me vient à l'esprit, c'est un éclair vert….Rien d'autre. Comment croire en quoique ce soit lorsque la raison même de ton existence vient d'un sacrifice que tout le monde souhaite oublier.


Son regard s'éloigna de nouveau de celui de la jeune fille, considérant un point derrière elle. Le revoyait-il ? Cet éclair ? Où se trouvait-il à présent ? Elle ne put retenir sa main qui se glissa sur la joue de son professeur, guidée de sa propre volonté, souhaitant apaiser un mal qu'elle pouvait clairement deviner puisqu'il retentissait en elle. Les prunelles du jeune homme s'écarquillèrent à son contact alors qu'il lui reportait toute son attention. Elle aurait dû rapidement rompre ce lien mais n'y parvins pas. Il ferma les yeux un moment, appréciant ce geste, profitant de ce petit réconfort qu'elle souhaitait lui apporter. Elle finit cependant par se détacher, consciente qu'il n'était pas convenable, qu'elle se contredisait elle-même : vouloir simplifier les choses entre eux et pourtant, lui envoyer des signaux contradictoires.


Parfois, c'était plus fort qu'eux. Ils le savaient tout deux.


Il se détacha d'elle, instaurant de nouveau une distance. Il ignorait combien de fois encore, il parviendrait à y échapper, à se soustraire à cette aura qui sembla le mener toujours plus près d'elle.


_Que dirais-tu de quelques tours de terrain ?


La surprise la saisit un instant avant qu'un large sourire ne barre son visage. Il savait comment lui parler. Elle opina grandement avant de se diriger vers les vestiaires. Elle se tourna au dernier moment et vit qu'il ne l'avait pas lâché du regard. Elle sentit ses joues chauffer à ce constat et espérait qu'il ne le percevrait pas trop à cette distance.


_Avons-nous le droit ? Je pensais qu'avec les vacances…


_Voyons Ginny. Je suis professeur. Il faut bien que je puisse profiter de certains avantages.


Il s'éloigna alors avant de rajouter, l'air espiègle.


_Si McGonagall nous trouve ici, je plaiderais avoir été sous Imperium. A toi de gérer ensuite.


Elle leva les yeux au ciel à ces mots alors que ses lèvres ne pouvaient se dépêtrer du sourire qui s'y était logé.

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