« Concentrez-vous Miss Weasley. »

Ce n'était pas si simple. Cela faisait près d'une heure qu'ils étaient dans la salle de Défenses contre les Forces de Mal réaménagée pour l'occasion. Le jeune Professeur avait fait disparaître les tables et chaises, les remplaçant par des cibles qui lui étaient très difficile à atteindre.

Son premier exercice concernait le sortilège du Stupéfix, sortilège quelle pensait maîtriser parfaitement avant ce cours. Il lui semblait étrangement être incapable de suivre les instructions les plus élémentaires de son professeur qu'il prodiguait avec patience.

« Lors d'un combat, l'arme la plus puissante contre votre ennemi est l'anticipation. »

Et c'était justement là tout le problème. Elle n'était pas en mesure d'anticiper. Pour cela, elle devait avoir un contexte, une analyse complète de la situation. En pleine simulation, cela lui semblait compliqué.

Elle ferma les yeux un instant, pour se vider l'esprit et imaginer la cible face à elle explosée en morceau. Elle rouvrit les yeux et lança le sort qui heurta un pan de mur, faisant exploser une des briques qu'il contenait. La cible visée avait déjà changé de trajectoire. Elle jura dans sa barbe, prit une grande inspiration et réessaya. Elle tenta et retenta mais ne parvint à en toucher une seule.

« Vous devez maîtriser vos émotions, votre frustration. Vous n'avez pas le droit à l'erreur. Sur le terrain, un innocent peut être blessé. »

Il ne l'aidait pas. Ce n'était pas la former que de lui asséner des phrases toutes faites. Après un énième échec, elle émit un long soupir avant de baisser sa baguette et de faire face à son Professeur, adossé sur un mur, les bras croisés, qui n'avait émit le moindre mouvement depuis un moment. Leurs regards se croisèrent, luttèrent alors que chacun tentait d'analyser l'autre.

Elle attendit qu'il commente, qu'il dise quelque chose mais il n'en faisait rien ce qui l'agaça grandement. Elle se retint de ramasser son sac au sol et de quitter les lieux promptement. Elle se doutait que cela ne ferait pas preuve d'une grande maturité et pourrait tâcher pour un premier cours.

Elle finit par reporter son attention vers ses cibles et prit une longue inspiration. Peut-être attendait-il une réaction ? Quelque chose qui lui montrerait qu'elle méritait ses enseignements ? Comment était-elle censée lui prouver une chose dont elle ignorait elle-même l'existence ?

Levant sa baguette prudemment, elle se concentra sur une cible, conjurant alors dans son esprit l'image de Greyback, se rappelant de son visage si proche du sien. Elle se rappela du plaisir qui avait envahi ses traits alors qu'il savait qu'il allait bientôt l'avoir, la faire succomber, alors qu'il la restreignait, la rendant captive. Une proie à sa merci.

Elle sentit alors la détermination montée, la volonté de le nuire, de ne plus ressentir ce sentiment, cette impuissance. Cette motivation nouvelle, inédite, qui coulait dans ses veines, rendit sa poigne plus ferme, sa posture maîtrisée et lui permit au dernier moment de percevoir l'infime mouvement de sa cible et de l'atteindre en pleine épaule. Celle-ci se figea doucement avant de retomber à l'envers, heurtant puissamment le sol dans un bruit sourd.

Un sourire lui traversa le visage alors qu'elle contemplait son œuvre. Elle y était arrivée. Avec difficulté, mais elle était à sa merci. Elle perçut du coin de l'œil, Harry avançait, et se tourna vers lui. Il avait glissé ses mains dans ses poches, les manches retroussées sur ses avant-bras, l'exemple même de la nonchalance. Son regard passa de la forme sur le sol à sa jeune élève et lui adressa un sourire encourageant.

_Beau travail, Miss Weasley.

Il conjura un verre de jus de citrouille, à en juger par l'aspect, qu'il remit à Ginny. Elle le remercia avant d'en prendre une gorgée. Il poursuivit alors en se mettant au niveau de la victime inanimée.

_A votre avis, quelle était la leçon du jour ?

_Maîtriser le sortilège du Stupéfix ? S'enquit-elle intriguée. N'étais-ce pas évident ?

Il redressa la cible, la posant contre le mur avant de lui refaire face.

_Sans être condescendant, Miss Weasley, nulle personne ne peut prétendre maîtriser un sort en une heure.

_Sans faire preuve d'insolence, je vais gentiment ignorer ce commentaire.

_Pas de mal. Une autre idée ? Je vais finir par croire que je suis bien piètre professeur.

_Toujours anticiper le prochain mouvement de son ennemi ?

_Cela aurait pu être le cas mais non.

_Je vous laisse m'éclairer, Professeur.

_La persévérance, Miss Weasley. Quoiqu'il advienne, quelque soit votre état d'esprit, quelque soit votre perception de la situation, que vous en sortiez gagnant ou perdant, même si vos chances vous paraissent infimes, n'abandonnez jamais, ne baissez jamais les bras. Le coup de grâce pourrait être celui que vous ne pensiez jamais donner. La persévérance fera la différence entre votre survie ou votre mort.

Elle le contempla alors qu'il lui expliquait cela avec détachement comme s'il lui parlait d'un exercice lambda, comme s'il n'était pas en train de parler de vie humaine, en l'occurrence de sa propre vie. Ses yeux, seuls, portaient en eux, la vivacité de l'échange, animés qu'ils étaient. Elle se demandait ce qu'ils avaient pu voir, ce qui les avaient conduits jusque là.

_Comment faites-vous ? Demanda-t-elle, se rendant compte trop tard que les mots l'avaient quitté avant qu'elle ne puisse réellement les penser.

_Que voulez-vous dire ? Répondit-il, fronçant les sourcils, interrogateur.

_Pour…pour vivre ce que vous avez vécu et semblait si...

Elle se tut, cherchant le mot le plus adéquat, regardant ce jeune homme comme si elle le voyait pour la première fois. Il attendit aussi, prudent, inquiet de ce qu'elle pourrait dire. Il ignorait ce que c'était mais il craignait qu'elle ne puisse voir en lui les horreurs qu'il lui taisait justement.

_Si ? Pressa-t-il lorsqu'elle se tut plus longtemps que nécessaire.

_Composé ? Termina-t-elle, peu sûre que c'était ce mot qu'elle cherchait.

_L'expérience, conclut-il en s'éloignant vers son bureau, tendant de mettre fin à cette conversation.

Elle comprit l'intention mais ne se sentait pas à l'aise avec cette conclusion. Elle se sentait liée à lui. Peut-être était-ce le fait qu'il l'ait sauvé ? Qu'il soit l'Elu ? Qu'il représente leur seul espoir ? Qu'il soit le meilleur ami de son frère ? Un presque « fils » pour ses parents ? Qu'en savait-elle réellement ? Si ce n'était qu'à l'instant, elle ne voulait pas qu'il se dérobe de la sorte en sa présence. Cela sonnait faux même si elle ne pouvait pas véritablement se l'expliquer.

_Professeur, je ne pourrais jamais prétendre vous comprendre, ni même avoir la moindre idée de ce que vous avez pu voir ou ressentir, qui plus est je suis une de vos élèves…

_Venez –en au fait, Miss Weasley, la coupa-t-il, presque agacé par cette conversation.

Le ton de sa voix lui déplut mais elle se retint de le reprendre. Elle voulait d'abord en arriver au point. Il ne l'intimiderait pas. Elle avait l'impression, assez naïve certes, qu'elle pouvait l'aider d'une quelconque manière.

_Je voulais vous dire que vous pouvez compter sur moi. Vous faites beaucoup pour nous, Harry. Je tiens juste à vous rendre la pareille.

Ses prunelles, telles de belles émeraudes, la fourragèrent lui coupant presque le souffle avant, lui communiquant quelque chose qu'elle ne parvenait pas à lire. Elle se contenta de baisser les yeux avant de saisir son sac à dos.

_Merci Professeur, bonne soirée, déclara-t-elle en quittant les lieux, son cœur se battant fortement contre sa poitrine, comme s'il souhaitait s'en libérer.

Bon sang, que lui prenait-il ? Si elle n'était pas capable d'agir normalement en sa présence, comment pourrait-elle prétendre apprendre quoique ce soit à ses côtés ? Elle venait de se faire passer pour une groupie complètement incompétente.

Il la désarmait totalement. Son regard, sa façon d'être, cette aura qu'il dégageait, lui faisaient perdre ses moyens et elle détestait cette sensation. Il était l'Elu certes mais elle lui avait demandé son aide. Elle avait besoin d'en apprendre plus. Et ce n'était pas en se comportant ainsi qu'elle y parviendrait.

Elle entendit des pas rapides derrière elle et elle sursauta lorsqu'elle sentit une main sur son épaule. Elle se retourna et tomba sur ce même regard perdu qui l'avait accompagné l'heure précédente.

_Vous aviez oublié votre bouquin, déclara-t-il en le lui tendant.

_Ah merci, répondit-elle tout aussi peu maîtrisée en le récupérant de ses mains.

Lorsque leurs mains se frôlèrent, elle sentit une forte décharge qui lui transperça le corps. Un tourbillon l'emporta brièvement loin de ce couloir où elle se trouvait et des voix se mirent à tournoyer autour d'elle.

« C'est elle, enfin »

« Qu'en sais-tu ? »

« Nulle doute »

« Elle me semble si jeune »

Elle se retrouva dans une pièce sombre avec un seul escalier en colimaçon près d'elle. Et de grandes vitres, des rideaux défraîchis. Etait-elle déjà venue ici ? Tout cela lui semblait familier. Un bruit sourd semblait venir vers elle. Elle tourna le menton de tout part, essayant de percevoir la source de ce danger qu'elle ne distinguait pas encore mais savait déjà là.

« Sait-elle ? »

« Pas encore. Bientôt »

« Elle semble pourtant déjà être là »

« Elle commence à s'en rendre compte mais c'est encore si jeune »

_Ginny !

La voix forte tonna près d'elle, la sortant de ce prisme mental dans lequel elle s'était retrouvée et retomba sur ce couloir, cette réalité, ce présent qu'elle pensait connaître jusqu'à présent. Que s'était-il donc passé ? Elle regard autour d'elle pour voir que rien n'avait changé, à part le visage foncièrement inquiet de son professeur. Avait-il vu ce qu'elle venait de voir ? Savait-il ce qu'il en était ?

_Vous….Vous…

_Y étais-tu ? Murmura-t-il, les yeux écarquillés, ses mains sur les épaules de la jeune fille.

_Ginny, tout se passe bien ? S'exclama une voix derrière eux.

Elle se retourna brusquement, manquant de trébucher avant de se retrouver face à face avec un Neville surpris. Il fronça les sourcils en contemplant leur professeur juste derrière son amie. Il se rapprocha d'elle tout d'un coup inquiet.

_Oui oui, désolée. Je…J'ai eu la tête qui tourne et Mr Potter était justement en train de me demander si j'allais bien.

Il fallait absolument qu'elle détourne l'attention de son ami avant qu'il ne se fasse de fausses idées. La situation était certes compromettante mais ce qui venait de se passer les dépasser tous. Elle souhaitait juste se sortir de là avant d'avoir à trouver une explication.

_Merci Professeur, déclara-t-elle en se saisissant de la main du jeune Londubat avant de se diriger vers leur tour.

_Que vient-il de se passer ? Il t'a fait quelque chose ? Réponds moi Ginny.

_Mais quelle idée, Neville ! Tu es en train d'accuser celui qui me venait justement en aide. J'ai trop accumulé de fatigue, j'ai commencé à tituber et il m'a rattrapé. Point barre. Ne sois pas si méfiant.

_Alors pourquoi ne me regardes-tu pas ? Répliqua-t-il en l'arrêtant brusquement.

Elle émit un long soupir avant de se tourner vers lui, comprenant qu'elle aggravait inutilement la situation. Elle se sentait bouleversée et son meilleur ami la connaissait suffisamment pour pouvoir percevoir ce sentiment. Elle lui saisit alors la main et fourragea ses prunelles contre les siennes, y mettant toute l'assurance qu'elle pouvait dans sa voix.

_Je te jure que tu te fais des idées. Harry Potter ne m'a rien fait. Il était juste en train de me rattraper alors que je titubais. Je n'aurais jamais dû abuser ce soir et aurais dû me coucher tôt mais j'ai voulu faire ma forte tête et voici la situation. Je te promets qu'il n'y a rien de plus.

Il la contempla longuement, peu convaincu mais obtempéra sachant qu'elle ne lui en dirait plus. Il ignorait ce qu'il venait de se passer mais n'était pas dupe. Il y avait bien quelque chose entre eux avant qu'il n'arrive.

Il passa son bras sur ses épaules, la ramenant contre lui pour la rassurer.

_Il est donc temps de te mettre au lit, petite nature.

_Je te ferais payer cela plus tard, mon vieux.

Ils s'accordèrent un sourire avant de poursuivre leurs routes, totalement ignorant que non loin de là, une attention toute particulière se portait sur la jeune fille et qu'une ombre sillonnant le lac, disparaissait silencieusement dans les eaux sombres.