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Il ne cessait d'y penser. Il avait été près d'elle dans cette immense salle, comme s'ils partageaient le même cauchemar, comme si elle pénétrait dans sa tête, voyant l'étendue de son esprit étriqué.


Comment était-ce possible ? Il avait fini par se convaincre que ces « rêves » bien étranges n'étaient que des cauchemars, des tours que lui jouait son cerveau malade, détraqué par cette étrange connexion qu'il partageait avec Voldemort. Comment donc s'était-elle retrouvée alors ? Comment avaient-ils quitté ce couloir pour se retrouver dans cette autre réalité ?


Il se passa une main dans ses cheveux, se redressant de son lit. Il ne pouvait dormir. Il n'y arriverait pas. Il avait besoin d'en parler, besoin d'y voir clair. Il ne pourrait en faire autrement. Il se rafraîchit par un sort, enfila un T-shirt et quitta l'appartement qui lui avait été assigné à Poudlard pour se diriger vers le bureau d'Albus Dumbledore. Connaissant le vieil homme, il se doutait que ce dernier ne dormait jamais.


Il arriva devant l'hideuse statue, gardienne du temple, formula le mot de passe et s'inséra dans l'escalier en colimaçon. Il attendit patiemment que ce dernier ne l'emmène au sommet avant de donner quelques coups à la porte directoriale.


La voix bien éveillée d'Albus l'invita à entrer comme si ce dernier l'attendait, comme s'il était normal que le jeune homme lui rende visite au beau milieu de la nuit. Il pénétra alors dans les lieux et trouva le directeur, debout devant le perchoir de Fumseck, son phénix, caressant tendrement son plumage. L'animal fixa alors le jeune homme de son regard émeraude, ne le lâchant aucunement, épiant le moindre de ses gestes, alerte.


Harry avait l'étrange impression que son maître le contempla à travers ses prunelles ce qu'il concevait impossible. Qu'en savait-il réellement après tout ? Il ne connaissait nulle autre personne qui possédait une telle créature.


_Le sommeil te fuit-il donc, Harry ? Serais-tu déjà à cet âge que je ne te pensais atteindre aussi rapidement ?


_Je suis navré de vous importuner ainsi, Albus.


_Tu sais bien que je ne me lasse jamais de nos conversations. Prends place, je te prie, indiqua le vieil homme en s'installant derrière son bureau, imposant dans cette pièce, à l'image de celui qui le surplombait.


Le jeune homme eut un soupir avant de prendre place face à lui, comme il l'avait fait tant de fois auparavant. Plus jeune, il avait passé énormément de temps en ces lieux, apprenant près de son mentor, découvrant l'étendue de sa magie et de ce dont il était capable.


Il s'appuya sur une de main, tapotant du bout de l'index sa lèvre inférieure, se demandant comment il allait formuler la chose, ne voulant pas passer pour un dément. Albus Dumbledore ne dit rien, attendant que son jeune protégé retrouve le fil de ses pensées, préférant qu'il ait la liberté de s'exprimer plutôt que de le pousser.


Le regard d'Harry se parcourut un instant le contenu du meuble devant lui, passant sur quelques bouts de parchemin sans s'attarder sur leurs contenus, sur les plumes parfaitement alignées du professeur, finissant sur les divers objets hétéroclites qui l'habitaient, aussi fascinant que leur propriétaire.


Il finit par affronter les yeux étincelant de sagesse de son mentor, appréciant la compréhension qui en émanaient, trouvant une certaine chaleur dans la compassion qu'ils exprimaient malgré eux. Albus avait toujours été très tendre envers lui parce qu'il s'estimait redevable. Il ne le lui avait jamais dit mais le jeune homme le savait. Il se sentait responsable de lui parce que ses parents, tous deux membres de l'ordre, avaient perdu la vie en défendant la même cause. Harry n'en tiendrait jamais personne rigueur à part Voldemort lui-même mais comprenait la charge qu'Albus faisait peser sur ses épaules. C'est la même que lui même s'imposait en ce qui concernait le reste du monde.


Posséder un pouvoir si immense incombait de grandes responsabilités. De cela, ils en avaient pleinement conscience, d'où leur telle compréhension l'un de l'autre.


_Je fais des rêves très étranges, Albus.


Il savait bien qu'en s'exprimant ainsi, il rappelait un enfant qui se confiait ainsi à son parent afin qu'il le rassure, qu'il lui assure que ces images n'étaient issues que de sa grande imagination. Cependant, il était certain que quelque chose clochait.


_Cela a toujours été le cas, me direz-vous. Depuis tout petit, je n'ai cessé de voir les horreurs infligées par Voldemort et à force, je m'y étais vraiment habitué. C'était devenu ma conception du « normal ». Mais depuis quelques temps, c'est différent…C'est comme si j'y étais.


_Peux-tu me raconter ces rêves, Harry ? Demanda calmement le vieil homme comme s'il savait déjà ce qu'il lui serait dit.


_Tout commence dans une salle sombre…


Harry se remémora le rêve comme s'il ne l'avait jamais quitté, comme s'il y était encore. L'avait-il réellement laissé ? Comment pouvait-il se souvenir de chaque détail avec une précision impressionnante ?


_Des voix s'élèvent de toute part, je ne parviens pas à les identifier clairement. Elles discutent entre elles, me présentent comme l'Élu. Je cherche d'où elles peuvent provenir en vain.


_Ses voix, les as-tu déjà entendu auparavant ?


_Non, peut-être. C'est difficile à dire. Elles ne me sont pas inconnues. J'ai l'impression qu'elles ont toujours été là, dans l'ombre, attendant que vienne le bon moment.


_Et ensuite ?


_Je cours à en perdre haleine et m'engouffre dans un couloir, en ignorant l'issue. Je sais juste que quelqu'un m'attend de l'autre côté, qu'il a besoin de moi.


Albus contempla longuement le jeune homme au-dessus de ses lunettes en demi-lune, l'analysant comme s'il pouvait voir à travers lui. Harry n'en fit rien, patient, sachant qu'il était venu pour ça, pour des réponses. Il se rendit compte que le simple fait de mentionner cela, le décharger d'un lourd fardeau, comme si l'air, comprimé dans sa poitrine, était soudainement libéré. C'était ce sentiment de profonde tranquillité que pouvait susciter Albus Dumbledore.


Pendant un instant, seuls les mouvements de Fumseck furent perceptibles, dans le silence ambiant. Il s'étirait, virevoltait légèrement, se reposait, nettoyait ses plumes, s'agitait, à l'image des pensées qui devaient se bousculer dans l'esprit du directeur.


Il fut tant absorbé par la créature que la voix du sorcier le fit sursauter.


_Pourquoi cela te paraît-il si étrange ? Tu l'as dit toi-même, tu as déjà eu à subir de plus intenables horreurs.


_Parce que ce soir, je me suis retrouvé dans cette pièce alors que je ne dormais pas.


Un éclair de surprise traversa le visage d'Albus Dumbledore si rapidement que le jeune homme aurait pu l'avoir imaginé. Il était rare de surprendre le sorcier. Ce qui renforça l'inquiétude d'Harry.


_Que veux-tu dire ?


_J'étais dans le couloir un instant et dans cette pièce le moment d'après. Cela a été bref mais j'y étais.


_Es-tu sûr que tu ne dormais pas ? Que tu n'as pas rêvé tout cela ?


_Non, je…Je n'étais pas seul.


Le jeune homme évita à ce moment le regard de son mentor, comprenant qu'il devait être entièrement honnête avec ce dernier. Il poursuivit alors, en contemplant un point au dessus de lui, maintenant son attention sur les vitraux qui les surplombaient.


_Miss Weasley m'a demandé de lui apprendre à se défendre, suite à sa récente attaque. J'y ai consenti et nous nous étions retrouvés ce soir dans le cadre d'un de ses cours. Elle a oublié un de ses livres dans la salle de cours. Je l'ai rattrapé au détour d'un couloir et…et


_Je t'en prie, Harry. J'ai besoin que tu m'éclaires, l'encouragea Albus alors qu'il le voyait, hésitant.


_Nos mains se sont effleurées, un contact à peine perceptible et la seconde suivante, nous étions tous les deux dans cette foutue salle. Je la sentais à côté de moi comme je vous sens en ce moment, réelle, tangible. Elle était à quelques mètres de moi et elle entendait ces voix également qui lui parlaient aussi.


_Que disaient-elles cette fois ? T'en souviens-tu ?


_Que c'était Elle, qu'elle était jeune mais qu'il n'y avait aucun doute.


_Et quoi d'autre ?


_Rien, nous avons dû fuir également comme si mon rêve se poursuivait et que Ginny en connaissait également l'issue. Nous faisions les mêmes gestes.


_Comment a-t-elle réagi à cela ?


_Elle était bouleversée mais nous n'avons pas eu le temps d'en discuter, Mr Londubat nous a rejoint et l'a emmené, termina Harry dans un soupir en se passant une main dans les cheveux, les ébouriffant davantage.


_Qu'est-ce que cela peut signifier, Albus ? Poursuivit-il en affrontant les prunelles claires.


_Je l'ignore encore, Harry. Comme tout ce qui peut te concerner, c'est assez inédit. J'ai besoin d'en savoir davantage. Avais-tu déjà vécu ce genre d'expérience avec tes amis ou une personne tierce ?


_Non jamais. Tout se passait dans ma tête. Un simple contact…Elle semble l'avoir déclenché sans que je ne comprenne comment.


_Je te prie de me suivre sur ce point et d'être le plus sincère possible. Pourquoi avoir accepté de donner ces cours à Miss Weasley ?


_Cela me semblait normal. Elle venait de vivre une expérience traumatisante et je me suis en quelque sorte reconnu en elle.


_Pourquoi elle ? Dans notre école, de multitudes de jeunes élèves subissent ou ont subi des attaques liés ou non à Voldemort. Pourquoi proposer cela à Ginny Weasley ?


_Elle..est la sœur de Ron. Que voulez-vous que je vous réponde ? Elle me l'a demandé, j'ai accepté, Albus, répliqua Harry, agacé cette fois.


Il ne comprenait pas pourquoi il se devait de répondre à ces questions alors que le problème lui semblait plus grave. Le vieil homme ne fléchit pas, maintenant le fil de cette conversation. Il était important pour lui que son protégé comprenne que ce n'était pas un hasard, que la Providence elle-même avait choisi de les lier, d'une manière ou d'une autre. Il n'était pas encore temps de tout lui avouer ce soir mais Albus savait qu'il ne leur restait plus beaucoup de temps. Ils étaient poussés l'un vers l'autre par des forces qui le dépassaient lui-même. Ils étaient après tout leur salvation.


_Nous sommes simplement en train de converser Harry. Nous essayons de comprendre ce qu'il t'arrive.


_Je ne le sais pas, Albus, d'où ma présence ici. Je…J'aimerais savoir si cela va se reproduire ? S'il s'agit d'une ruse de Voldemort ? Si Ginny court un quelconque danger ? Je me dois d'être paré pour toutes les éventualités et refuse de laisser quoique ce soit au hasard.


_Harry, certaines choses nous dépassent pour une raison. Il est nécessaire que nous acceptions notre statut d'homme et notre vulnérabilité. C'est ce qui nous rend plus persévérant dans notre combat.


_Cela ne change rien au fait que tout cela n'a pas de sens.


_Le penses-tu réellement, Harry ? Ne penses-tu pas que justement tout prend sens à présent ? Tu refuses de le voir et pourtant, tu le perçois clairement.


_N'essayez pas de m'embrouiller. J'ai besoin d'une réponse claire.


_Tu la portes en toi mais la repousses car tu n'es pas prêt à l'entendre.


_Je ne comprends absolument pas ce que vous essayez de me dire.


_Restons en là pour ce soir, Harry. Je commence à fatiguer. Permets moi un peu de repos.


Le jeune homme aurait voulu s'y opposer mais n'avait pas le cœur à rechigner face à cette demande. Il opina brièvement avant de se lever.


_Merci de m'avoir accordé ce temps, Albus.


_Ma porte te sera toujours ouverte, Harry. Bonne nuit.


_Bonne nuit, Albus.


Il prit alors congé, refermant derrière lui le bureau professoral, regagnant ses appartements, encore plus perturbé qu'il ne l'était en arrivant. La tranquillité qu'avait brièvement suscitée en lui Albus, totalement disparu.


Le directeur se leva alors de sa chaise et se dirigea vers l'une des hautes vitres qui composait son office, jetant un vague regard sur le lac noir, sombre à cette heure-ci. Il vit alors la lueur escomptée et murmura à lui-même, certain qu'elle l'entendrait.


_Est-ce ainsi le moment que tu attendais, chère amie ? Souhaites-tu les mettre face à leur destin aussi rapidement ?


« Tu sais, Albus, que le temps nous est compté. Il est prêt. Elle le sera bientôt. Finissons-en ».


La voix semblait être juste à côté de lui alors qu'elle résonnait uniquement dans sa tête.


_Est-ce ce qui a été décidé ?


« Il ne saurait en être autrement, Albus ». Elle s'éloigna alors, comme si elle n'avait jamais été.


Le vieil homme soupira alors avant de se tourner vers l'un des portraits où reposaient ses prédécesseurs. Phinéas Nigellus Black était le seul encore éveillé. Il n'avait rien perdu de la scène et savait déjà ce que le vieil homme allait lui demander.


_Je m'assurerais que vous l'ayez, Albus.


Il disparut ainsi, laissant Albus Dumbledore à ses pensées.

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